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Accueil Patrimoine bâti Le Bocard

Le Bocard

A Vialas, tout près des sites de baignade, dort une usine de pierre abandonnée aux mille voûtes émergeant des ronces…

Ici, il y a cent ans, on exploitait la montagne pour trouver de la galène et on la traitait pour obtenir de l’argent. Cet endroit exceptionnel, décrit avec bonheur par Jean-Pierre Chabrol, révèle des trésors d’histoire, d’ethnologie, de sciences techniques et d’architecture…

En 2010, des recherches historiques ont permis de mieux comprendre ce site abandonné. Depuis cette date, ce site fascinant sort peu à peu de l’oubli. Une étude de faisabilité (réalisée par Cécile Coustès et commandée par la Mairie de Vialas, le Parc National des Cévennes et l’association Le Filon des Anciens (www.lefilondesanciens.com) a montré l’intérêt d’une valorisation touristique du site. Les recherches continuent et n’en finissent plus de dévoiler cette histoire singulière…

Reportage video

Rapide historique

Le document faisant référence aujourd’hui est le mémoire de Cécile Coustès, hors-série n°64 du Lien des Chercheurs Cévenols, co-édité par le filon des Anciens.

L’exploitation minière connue à Vialas se situe à la fin du 18ème siècle et au 19ème siècle. Les ingénieurs de l’époque indiquent que les travaux de percement auraient recoupé des travaux plus anciens : galeries exploitées par le feu, caractéristiques de l’Antiquité et du Moyen Age. Ce filon, ré-exploité à l’époque moderne, a été dénommé « le filon des Anciens ».

L’exploitation industrielle moderne remonte à 1781, date officielle de découverte des filons de Vialas. Jusqu’en 1827, le minerai est extrait et trié à Vialas, puis acheminé à dos de mulet pour être traité à Villefort. En 1827 est construite la fonderie sur le site dit du « Bocard ». Le minerai est donc extrait des galeries toutes proches du Colombert ou du Bosviel, trié et traité sur place. Au cours des décennies qui suivent, les techniques s’améliorent, se multiplient et se complexifient.

Vialas assure ¼ de la production nationale d’argent en 1847 et sa production ne cesse de croitre jusqu’en 1861-62 où elle atteint 1930 kg d’argent raffiné. La société minière tire alors aussi d’importants revenus de ses sous-produits : 146 000 kg de litharges rouges et 135 000 kg de litharges jaunes. Avant 1845, elle produisait aussi de la céruse, ou « blanc d’argent »). Après les années 1870, l’exploitation diminue progressivement et la mine est fermée en 1894.

Commence alors une longue période d’oubli…

Le fonctionnement de la mine et de l’usine

Le minerai (la galène) est exploité sur quatre étages, dans une quinzaine de kilomètres de galeries reliées entre elles par des puits.

La galène est ensuite triée une première fois à sa sortie des galeries : le « stérile » forme les pierriers appelés « haldes ». La halde principale est située tout près du Chauffès. Le minerai est ensuite acheminé par wagonnets sur le site du Bocard.

Avant la création de la fonderie en 1827, le minerai était acheminé à dos de mulet jusqu’à Villefort. Mais avant son départ de Vialas, il était à nouveau trié afin d’éviter les charges inutiles et grossièrement préparé.

En aval des galeries pour éviter de remonter le minerai, le seul site disponible est un vallon encaissé, au confluent entre le ruisseau du Colombert et le Luech. Un aménagement du site est nécessaire : un grand terre-plein artificiel est créé au-dessus du ruisseau, soutenu par une voûte de pierre de 100 mètres de long et 6 mètres de haut, capable de résister aux crues cévenoles. Cet espace plat (un luxe en Cévennes) permettra de circuler sur le site et de construire une partie des ateliers de tri et de préparation mécanique. Le pilonnage au bocard se fait majoritairement en rive gauche du Colombert afin que les vibrations n’ébranlent pas la voûte.

La fonderie est installée en rive droite du Colombert. Les fumées sont évacuées par une cheminée rampante qui court le long de la montagne.

De la roche au lingot

Le traitement du minerai est un procédé complexe, de l’extraction au traitement métallurgique (dessins Jacques Plan). Le minerai grossièrement trié à la sortie des galeries est à nouveau trié sur le site du Bocard, il passe aux laveries avant d’être envoyé, en fonction de sa qualité et de son calibre, dans les ateliers de préparation mécaniques. Dans ces ateliers, plusieurs machines le préparent à être fondu : bocard à sec, bocard à eau, classificateur puis trommel, tamis, crible à pistons et crible anglais, caisson allemand, tables dormantes puis tables à secousses,…

Le minerai est ensuite traité à la fonderie. On le grille, c’est à dire qu’on l’oxyde dans un four à réverbère, puis on réduit l’oxyde obtenu dans un four à manche. Le traitement dans le four de coupellation permet d’oxyder le plomb sous forme de litharges (forme naturelle de l’oxyde de plomb) et de séparer l’argent qui précipite au fond de la coupelle sous la forme d’un gâteau circulaire. On coule ensuite les lingots d’argent.

L’usine fonctionne surtout à l’énergie hydraulique : une prise d’eau sur le Luech, à La Pale, alimente des séries de roues à aubes de 3 mètres de diamètre. La circulation de l’eau sur le site est assurée par un système complexe de béals (canaux), pour la plupart enterrés sous les bâtiments. La soufflerie à pistons nécessaire à la fonderie fonctionne aussi grâce à l’hydraulique, puis grâce à une machine à vapeur qui prend le relai quand le débit d’eau est insuffisant. La machine à vapeur est aussi utilisée pour le percement des galeries.

Les mineurs à Vialas

Les mines de Vialas ont profondément influencé la destinée du village. En 1825, 60 mineurs travaillent « au fond ». En 1853, ils sont 125, auxquels s’ajoutent 90 à 108 travailleurs dans les ateliers et à l’usine. En 1865, 463 personnes travaillent dans les ateliers et à l’usine (on ne connaît pas le nombre de mineurs de fond).

Aux débuts de l’exploitation, les mineurs sont surtout des habitants des environs, devenus paysans-mineurs. Pour l’encadrement, en revanche, on fait appel à des ingénieurs allemands ou issus de l’Ecole des Mines.

Suite à la grande sécheresse de 1837 qui contraint l’usine à une longue fermeture, la Société fera appel à de la main-d’œuvre étrangère au pays, notamment piémontaise. Au « fond » et à la fonderie, on embauche des hommes immigrés, séparés de leur famille, de religion majoritairement catholique. Les conflits avec les villageois de Vialas contraignent l’usine à loger sur place cette main-d’œuvre, à ouvrir des magasins réservés aux mineurs, et même à mettre en place une monnaie propre à l’usine. La mine de Vialas est alors un petit modèle de paternalisme économique, qui assure l’ensemble des conditions de vie de ses ouvriers et…. les maintient dans leur condition ouvrière.

Le travail à la mine est pénible. On connait les difficultés du travail « au fond », mais le travail du tri à la sortie des galeries (réalisé majoritairement par des femmes, et par des enfants au début de l’exploitation) est également exténuant. Au Bocard, le bruit des machines est assourdissant, les rythmes de travail sont élevés. Les fondeurs, en particulier ceux chargés du grillage dans les fours à réverbères, doivent régulièrement intervenir pour malaxer le minerai chauffé à 700°C et sont exposés au dioxyde de soufre.

Le cours du Luech, en aval de l’usine est pollué et les pécheurs de Chamborigaud se plaignent…

Certains quartiers du bourg de Vialas, notamment le quartier des Esparnettes ont été construits à destination des mineurs. La mine a apporté au village de l’argent frais : complément de revenus pour les paysans-mineurs, travail pour quelques mineurs, des femmes et quelques enfants, mais aussi retombées économiques pour les commerces. Le paysage de l’époque était alors marqué par l’exploitation : pistes, constructions, fumées sur la montagne, bruits des bocards,…

Après la fermeture, les mineurs, forts de leur savoir-faire, sont partis travailler aux mines de charbon de la La Grand-Combe et Alès, toutes proches et alors en pleine expansion.

En à peine un siècle, la mémoire semble s’être évaporée… Les guerres, l’exode rural, la renaissance des Cévennes comme territoire naturel d’exception, la mélancolie d’une époque révolue, peuvent expliquer cet oubli abyssal dans lequel était tombé la grande histoire économique de Vialas.

La mine aujourd’hui

Le bocard

En rive droite du Luech au niveau du pont de La Planche, sur la commune de Vialas, l’ancienne mine est aujourd’hui envahie par la végétation. Jean-Pierre Chabrol appelait ce lieu « la Mine au Bois Dormant »

Depuis la route, on aperçoit entre les pins et acacias des voûtes, des vestiges de façades et un pont.

Il faut s’approcher pour découvrir l’ampleur du site, sa voûte d’une centaine de mètres sur le Colombert, les étranges toboggans à minerai, la multitude de voûtes en granite, en schiste ou en briques du bâtiment de la fonderie, la façade de l’ancienne rue et celle de la fonderie qui domine le Luech, les fondations de la boulangerie, de la forge, des ateliers de traitement du minerai, l’emplacement des roues à aubes et partout des canaux, des tunnels et la marque des anciennes chutes d’eau qui alimentaient les machines de l’usine.

Le site du Bocard dégage une atmosphère vraiment particulière de cité engloutie par la végétation, qui laisse découvrir pas à pas sa belle architecture de pierre et l’histoire, somme toute éphémère, de ce qui fut une grande activité humaine pour la région.

Un inventaire photographique du site du Bocard a été réalisé par Cécile Coustès en 2010 ; il sera complété par le travail de Mr Fiores, architecte chargé de la sauvegarde et de la valorisation du site.

Le site du Bocard est extrêmement fragile : chaque épisode cévenol, chaque passage indélicat, détruit un peu plus les vestiges…

Ailleurs à Vialas…

La mine étendait son emprise bien au-delà du site du Bocard et les vestiges de l’exploitation sont visibles un peu partout sur la commune.

La montagne du Bosviel cache sous ses genêts et ses pins une vingtaine d’entrées de galeries, jusqu’au Martinet. Au total, le réseau des galeries s’étend sur environ 15 kilomètres. Ces galeries sont dangereuses, fermées au public. Des explorations spéléologiques en cours permettent de reconstituer les trajets du minerai. Les grands puits qui reliaient entre elles les galeries sont toujours en état, certaines galeries portent encore la trace des traverses de chemin de fer, un peu de matériel a été retrouvé et mis en sécurité. Les traces d’exploitation par le feu n’ont pas été retrouvées.

La cheminée rampante est encore assez visible, notamment ses arches de soutènement au départ de l’usine. Le conduit supérieur est effondré.

Le centre de tri vers le Chauffès (et en particulier les « accumulateurs » où étaient stockés le minerai grossièrement trié) et les bâtiments d’exploitation du Colombert (galerie centrale) sont relativement bien conservés. Le lieu-dit du Colombert, situé au confluent de la Picadière et du Colombert à 5 minutes de marche de la route, est un endroit très agréable pour une halte (petite vallée sauvage, point d’eau, ombre des pins,…).

Le chemin qui relie le Colombert au site du Bocard est en excellent état, tout comme celui qui relie le Bocard au centre de tri vers le Chauffès : parties pavées, aqueducs, bornes,…

La « piste noire », qui permettait aux mineurs d’accéder à l’usine, suit le lit du Luech puis est taillée dans la falaise pour continuer jusqu’au Pont Rouge. Elle n’est plus praticable en raison d’éboulements.

A La Picadière, après le hameau du Colombert, là où a commencé l’exploitation minière, se trouvent les ruines de casernes (logements pour les mineurs) et sur l’autre rive « la Maison des ingénieurs », un très beau mas ruiné qui laisse apercevoir sa belle cheminée.

Une partie du matériel de la mine a été réutilisé : câbles, outils, panneaux, pierres se retrouvent dans le village et ses hameaux.

La mémoire de l’exploitation minière est inexistante.

Projets de valorisation

Depuis 2008, l’association «le filon des Anciens» (www.lefilondesanciens.com) œuvre à réanimer la mine au bois dormant. Elle est soutenue par la mairie de Vialas et le Parc National des Cévennes depuis 2010.

En 2013, la mairie de Vialas est devenue porteuse du projet de valorisation, toujours soutenue par l’association.

En 2014, le site a été inscrit «Site historique» (cheminée, usine et voûte) ; les projets qui le concernent sont désormais suivis et soutenus par l’Etat (DRAC).

Le Conseil Général et le Conseil Régional ont annoncé en 2014 leur soutien financier.

Le travail de sauvegarde et de valorisation est donc en cours. L’étude architecturale actuellement menée par Mr Frédéric FIORE permettra d’affiner le projet.

Voici cependant quelques grandes lignes de ce projet.

Tout n’est pas possible au Bocard. En particulier, nous savons que :

  • on ne reconstruira pas l’usine, ni les bâtiments d’exploitation.
  • certains travaux de sécurisation, par leur ampleur (et donc leur coût) sont difficilement envisageables.
  • si des travaux d’élagage et de débroussaillage sont indispensables, l’aspect forestier du site doit être conservé comme faisant partie de son identité et de son charme.

La valorisation prendra donc en compte :

  • l’aspect technique de l’exploitation minière (extraction, acheminements, machines et méthodes de traitement, fonderie, utilisation de la force hydraulique)
  • l’aspect historique et social, notamment dans le contexte des Cévennes et du village de Vialas.
  • l’aspect poétique de la « mine engloutie »

Les aménagements envisagés aujourd’hui sont :

  • une intervention d’urgence sur les éléments essentiels en danger (voûte, cheminée, bâtiments).
  • Une sécurisation du site qui est aujourd’hui particulièrement dangereux.
  • La création d’un sentier d’interprétation qui explique l’histoire du site.
  • La création d’outils pédagogiques d’interprétation, notamment à destination des scolaires.
  • La création d’une exposition permanente, dans le village, dotée de vidéos et d’une maquette animée. Cette exposition serait aussi un point d’entrée pour découvrir plus largement l’activité minière du mont Lozère.
  • Des chantiers de recherche archéologiques et historiques.
  • Une animation du site : visites guidées par des professionnels, évènementiel.
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