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Le châtaignier : l’arbre à pain
Origines
Originaire d’Asie Mineure, d’Arménie selon les uns, de Turquie selon d’autres, ou même présent sur notre territoire depuis l’ère tertiaire pour d’autres encore (des pollens de châtaignier ont en effet été trouvés en grande concentration dans les marnes tertiaires de Celleneuve, près de Montpellier), le châtaignier est décrit pour la première fois, au lVème siècle avant J.C. par Théophraste dans son « Histoire des plantes » : la châtaigne est dite alors « noix castanéique ».
Historiquement, l’arbre serait arrivé chez nous via la Grèce et l’ltalie dès le premier siècle après J.C. II y prospère alors en choisissant ses terrains de prédilection en fonction de leur acidité (pH 4,8-5,5), de leur exposition (les ubacs dans le Midi), de leur altitude (rarement au-dessus de 600-700 mètres) mais surtout en fonction du climat : la température ambiante doit être chaude pour que la pollinisation se fasse dans d’excellentes conditions.
En France, son histoire débute autour de l’an 1000
D’une part, l’extension de l’agriculture et l’accroissement de la population sont le résultat d’un réchauffement du climat pendant le Xème siècle.
D’autre part, la structure monastique connaît un vrai succès à l’époque comme seul lieu d’instruction.
Déjà plusieurs axes de pèlerinage se croisent dans la région, souvent tracés sur les crêtes comme les drailles.
La ruée vers les monastères commence à les faire déborder.
Les Cévennes devinrent la terre d’accueil de nombreux petits ordres monastiques du Gévaudan et Montpellier , les monastères cévenols pouvant mieux assurer la subsistance d’habitants si nombreux.
Ce sont essentiellement des bénédictins et parfois des cisterciens qui construisent la première conception de beaucoup des hameaux et villages, d’abord comme prieurés, et qui commencent à marquer l’histoire de la châtaigneraie en Cévennes. Ce sont eux qui fondent des mas, défrichent, bâtissent dans certains cas des murs de soutènement, et qui plantent, greffent et entretiennent les châtaigniers.
Ainsi un système autarcique basé sur la châtaigne va régner quelques siècles; avec leurs vergers, jardins, chèvres, moutons, cochons, poules, abeilles , les Cévenols s’autosuffisent.
XVI siècle
La progression du châtaignier est un fait, la châtaigneraie prend la place de la forêt méditerranéenne qui consistait en chênes verts, parfois des labours, céréales et vignes, elle devient la plus importante arboriculture.
Grâce aux châtaignes, les Cévennes n’ont jamais eu de famine, contrairement à la haute Lozère en 1709.
1750-1850 l’âge d’or de l’économie cévenole
Les routes sont aménagées, établissant les échanges commerciaux et relations permanentes avec la plaine, la vallée du Rhône et la Méditerranée.
1840 La plus longue ligne de chemin de fer de l’époque relie la Grand Combe à Beaucaire.
Autour de 1850 ,l’âge d’or du châtaignier
Il devient la base de l’alimentation, ce qui explique son surnom d’arbre à pain. Ses fruits nourrissent une population de forte densité.
Grâce aux châtaignes, soie et mines, les Cévennes atteignent la plus forte densité jamais connue, 35 habitants/km2.
Donc, jusqu’à très récemment, la châtaigne a été le plat de base de nombreuses populations paysannes, en particulier durant la plus mauvaise saison : l’hivernale. En effet, en montagne la châtaigne a souvent pallié le manque d’autres ressources nourricières, comme les céréales (froment, blé, orge, seigle…) plus présentes dans les zones de plaine. Sans elle, une famine à l’état endémique aurait régné dans ces contrées ; la conservation du fruit, à l’état sec, a fait que souvent elle permettait de supporter sans trop de dommage une à deux années de mauvaises récoltes.
L’arbre à pain est aussi indirectement un arbre à viande car la châtaigne, avec le gland des chênes, sert aussi de nourriture animale, notamment pour le porc, pratiquement la seule source de protéines et de lipides d’origine animale dans des régions défavorisées.
Description
Les châtaigniers sauvages ne fournissant que des fruits de caractère médiocre mais procurant par contre un excellent bois, l’homme s’oriente très tôt vers la culture d’arbres de meilleur rapport, dits « à fruits », produisant des châtaignes de qualité nettement supérieure, qu’il cherche à améliorer encore ; ainsi il sélectionne les meilleures variétés qu’il pérennise par la greffe. II entreprend alors une castanéiculture raisonnée en vue de la consommation des fruits , en pratiquant irrigation, émondage (taille d’entretien), labours, fumures, protection contre les parasites, renouvellement et régénération des essences.
Débarrassée de sa bogue piquante, la châtaigne, se présente avec son enveloppe brune et brillante qui la protège du dessèchement : c’est le péricarpe, communément nommé écorce ou première peau. La seconde peau c’est le « tan » (nom donné à cause des tanins qu’elle contient) ou encore « petite peau » : elle cache la partie nourricière du fruit, l’amande, de couleur ivoire tirant plus ou moins sur le jaune.
La récolte, de mi- octobre jusqu’à la fin décembre, est faite par toute la famille. L’aide des voisins et connaissances était payée à « mi-fruits », donc la moitiée de leur recolte. Les grosses exploitations emploient des ouvriers embauchés « à la loue » lors des grandes foires, comme à Barre des Cévennes sur la place de la loue et aux Ayres. (lòga – les loues=contrat saisonnier, engagement au cours des 3 dimanches de fêtes entre fin septembre et début octobre.)
Comme unique salaire, les employés nourris et logés pendant la saison recevaient des blanchettes. La location d’une pièce de terre aussi se réglait en nature par un certain nombre de jours de ramassage.
En particulier les Caussenards, qui n’avaient pas beaucoup de travail à cette saison, appréciaient l’occasion de s’employer et ainsi également diversifier leurs provisions hivernales.
Utilisations
Alimentation
La châtaigne peut être utilisée fraîche pendant la châtaignaison, soit consommée grillée (prendre soin alors de fendre son écorce sous peine de la voir exploser), bouillie (décortiquée ou non). Elle entre dans diverses préparations culinaires : pâtés, boudins, soupes…; on ne saurait passer sous silence la populaire dinde de Noël accompagnée de ses indissociables marrons, le rôti de porc frais aux marrons… La confiserie (sous forme de marrons glacés), la confiturerie et la pâtisserie l’utilisent aussi. A noter que le marron ne serait pas à proprement parler une variété botanique de châtaigne, mais plutôt une variété commerciale (les discussions sur ce sujet ne sont pas encore closes).
Mais ramassée en automne, la châtaigne peut difficilement se conserver au-delà de Noël, habitée qu’elle devient par des larves d’insectes, quand elle n’est pas envahie par les champignons de la pourriture noire ou de la pourriture brune. La dessiccation est le moyen de conservation efficace le plus généralement utilisé et ce, depuis fort longtemps.
C’est au séchoir, nommé « clède » en Cévennes, ou encore « clée, clédier, clédo »…que se passe cette transformation : au rez-de-chaussée d’un petit bâtiment d’un étage, souvent isolé des maisons d’habitation, brûle un feu doux, desséchant les châtaignes déposées en couches sur la claie de l’étage supérieur. Le tas de châtaignes est remué sans cesse jusqu’à dessiccation totale.
Le châtaigne prospère; la production dans la partie lozérienne formait un arc de cercle autour de St. Germain de Calberte, et s’étendait loin dans l’arrière-pays, jusqu’à Ispagnac. La France produit autour de 500 000 t
Les bajanes-bajanas– blanchettes -châtaignons – châtaignes sèches sont l’unique monnaie d’échange pendant un moment.
Les blanchettes furent échangées contre le froment des terres calcaires, le fromage du haut pays , les olives et le sel de la plaine.
Cette châtaigne sèche, peut alors être conservée jusqu’à trois ou quatre ans dans un endroit sec et à l’abri des insectes. Il suffit de la faire tremper pour la ramener à son état (presque) frais.
Réduite en farine, elle sert à préparer du pain dit « pain de bois » dans certaines régions ; mais les qualités peu panifiables de cette farine l’obligent à être mélangée à de la farine de blé, de seigle ou d’orge. Par contre cette farine, sans l’aide de levain, peut se prêter à la confection de galettes, de gaufres, de crêpes, de beignets… On a même vu pendant la dernière guerre surgir différents ersatz du café, dont celui à base de châtaigne torréfiée, breuvage qui pourtant existait déjà au siècle précédent sous le nom de « café des dames » parce qu’il était assez suave et adoucissant.
médecine
La valeur calorique de la châtaigne fraîche est supérieure à celle de la pomme de terre et celle de la châtaigne sèche dépasse celle des céréales. Si la châtaigne est très riche en sucres (amidon surtout), elle est par contre relativement pauvre en protides et en lipides. Cependant, les vitamines B et C, de même que les sels minéraux, sont en concentration très appréciable.
La châtaigne est utilisée en médecine populaire, comme remède contre les douloureuses diarrhées provoquées par la dysenterie chez l’enfant (grâce au tanin qu’elle contient : 6 % dans l’écorce, 13 % dans le bois et les bogues), souvent mélangée à de la poudre d’écorce ou à des feuilles de l’arbre. Sa haute teneur en tanin fait que les araignées ne tissent jamais leur toile sur du bois de châtaignier.
La présence de vitamine C lui confère une action antiscorbutique. On a aussi prêté à la châtaigne d’autres vertus médicinales allant même jusqu’à une action aphrodisiaque pour l’homme (peut-être par similitude avec la forme de ses testicules ?).
Heureusement, rares furent les régimes limités à la consommation unique de châtaignes : nos ancêtres y ajoutaient toujours, même en petite quantités, des laitages, du lard, des viandes, des fruits sauvages, apportant ainsi un minimum de protéines, de lipides, de minéraux plastiques (calcium, magnésium…), d’oligo-éléments, de vitamines et d’acides aminés essentiels.
Les abeilles tirent du châtaignier un miel foncé et de goût prononcé.
En France, mêmes les feuilles sont recherchées pour parfumer et emballer le fromage de chèvre comme le banon et le mothais sur feuille.
Le bois
Le bois de châtaignier provenant surtout des châtaigniers sauvages (donc non greffés) croissant dans les taillis et les futaies, est nommé suivant les endroits « cerclières » ou « céoucliéiros » (Cévennes). Tiré d’un jeune arbre de 6-7 ans, le bois sert à cercler tonneaux, cuves, comportes….
Le bois d’arbres plus vieux fournit d’excellentes douelles pour les futailles (tonneaux).
On ne saurait, non plus, passer sous silence les ruches ou « bournioux » creusées dans des troncs de châtaigniers.
Les menuisiers, surtout les ébénistes, se servent du bois de châtaignier pour la finesse de son grain et la beauté de ses veines ; mais devant la pénurie et le prix élevé de ce bois, les placages priment maintenant le bois massif.
Comme combustible, c’est un bois de chauffage moyen (mi-dur, projection d’escarbilles, fumée moyennement importante). On l’utilise aussi :
– dans l’agriculture comme échalas (pieu) soutenant la vigne, piquet pour la construction de clôture, etc ;
– dans l’exploitation minière pour le boisage et le soutènement des galeries
– dans le bâtiment comme élément de charpente car il est durable à couvert, de colombage (peu utilisé en grande section à cause de la roulure) et comme élément de couverture (essente, bardeau, volige) ;
– dans l’artisanat pour la sculpture des petits objets comme les castagnettes, pour la vannerie (les jeunes perches sont fendues et planées pour réaliser des paniers robustes).
le déclin
La castanéiculture, déjà affaiblie par les ravages du gel des hivers notamment en 1685 dans les Cévennes et plus récemment en 1956, touchée par les deux terribles maladies que sont le chancre de l’écorce et l’encre et de moins en moins pratiquée à cause de la désertification des montagnes, ne pouvait que décliner. Dès 1870 la maladie de l’encre apparaît et abime gravement les châtaigneraies. Une moissisure (le Phytophthora) sur les racines provoque une exsudation noir bleuâtre: l’encre et l’arbre meurt par la cime.
Autour de 1900, on introduit des espèces et variétés d’Asie pour vaincre cette maladie.
Georges Couderc de l’Ardèche, déjà connu dans la viticulture par ses recherches de plants résistant au phylloxera , s’investit aussi dans la castanéiculture par ses observations des hybrides.
Ce sont surtout les régions basses qui sont touchées. Pour compenser la perte de revenu, les agriculteurs augmentent leur troupeau, vendent leurs arbres aux usines de tanins ou en font des piquets pour la viticulture débarrassée du phylloxera, accélèrant ainsi le déboisement.
II faut y ajouter d’autres facteurs dont une consommation de châtaignes diminuée par le fait qu’elles sont remplacées sur nos tables par d’autres aliments de base issus de cultures intensives, donc plus rentables (provenant de blé dur, de pommes de terre, de riz….). La conséquence est l’orientation notable de nos habitudes culinaires vers des aliments de plus en plus sophistiqués, à valeur calorique moindre et de préparation plus simple… Aussi ne faut-il pas s’étonner de voir la production française passer de 512.000 tonnes en 1880 a 136.000 en 1950 puis à 41.000 en 1976, ce qui nous place au quatrième rang en Europe après l’ltalie, l’Espagne et le Portugal mais très loin derrière le Japon premier producteur mondial.
L’exode rural et l’abandon des châtaigneraies
En 1911 ne restent que 20 habitants/km2
Entre 1930 et 1950, encore un grand nombre part quand les mines et hauts fourneaux (métallurgie) ferment les uns après les autres.
La chute des cours vers 1930 , la concurrence des autres cultures et la possibilité financière de diversifier son alimentation ronge encore un peu plus la popularité de la châtaigne.
Pendant la guerre l ‘arbre à pain nourrit de nouveau la population et le déclin se stabilise pendant quelques années.
Autour de1950 , l’exode rural prend des proportions dramatiques, et la production s’arrête presque totalement.
Elle servait à :
– la fabrication de tourteaux pour l’élevage porcin, vendu aux foires des basses Cévennes (Anduze)
– la fabrication d’alcool de châtaigne (à l’image des départements du Nord de la France qui utilisaient la betterave)
– l’exploitation pour le tanin, extrait dans les usines de St. Jean du Gard, du Vigan et de Génolhac , qui ont fermé l’une après l’autre dans les années 60.
Finalement, l’apparition du chancre de l’écorce vers 1960 semble être le coup de grâce pour les châtaigneraies.
Chancre de l’écorce : c’est un champignon qui fait mourir le bois à la cime et aux extrémités des branches . Cette maladie se combat par traitement et / ou par élagage, partiel ou coupe sévère selon l’étendue de la maladie.
L’INRA et le Ctifl (Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes) travaillent sur les greffes et les hybrides.
Des hybrides interspécifiques résistant aux attaques des maladies cryptogamiques apparaissent depuis quelque temps sur le marché : ils proviennent de croisements naturels entre Castanea sativa et Castanea crenata (châtaignier japonais) ou Castanea mollissima (châtaignier chinois). L’Institut National de Recherche Agronomique (INRA) a mis au point d’autres hybrides remarquables, tels que le M 15, sur lesquels se fondent beaucoup d’espoirs.
Heureusement le déclin s’est arrêté. La culture s’est remise en route et c’est avec plaisir que l’on peut admirer de nouveau, quelques jolies châtaigneraies et manger des fruits d’un goût fin et appréciable….
La culture, la rénovation, l’entretien et la création des vergers , et la consommation des châtaignes sont de retour dans les mœurs , avant d’avoir vraiment disparu. Il y a un nouvel intérêt pour l’arbre et pour ses fruits auxquels les Cévennes doivent tant.
La châtaigneraie cévenole est sans aucun doute un pilier social, culturel, économique, écologique du patrimoine. Elle tient une place importante et remarquable dans la fabuleuse architecture paysagère que nos ancêtres nous ont laissée.